Écrire pour m’en sortir. Pour survivre. Pour m’affranchir.
Écrire pour que tout ne soit pas vain.
Écrire car j’ai besoin d’exploser, depuis si longtemps.
Écrire sinon je ne vais pas supporter. Tout ce gâchis.
Écrire pour faire vivre, et exister, pour faire vibrer.
Écrire pour comprendre, écrire pour réfléchir, écrire pour m’endurcir.
Écrire pour ne pas toujours raccourcir.
Seulement j’ai peur.
D’avoir si peu écrit.
Mais d’avoir tellement parlé. D’écrire aussi.
J’aimerais écrire vrai, pas forcément beau, mais vrai. J’ai peur de l’immaturité de mon écriture, à mon âge…. Elle manque de pratique, d’exercice. Je ne sais pas si je peux m’y laisser aller. Si je peux lui faire confiance ? Et finalement, tout cela n’est-il pas que le souci d’un « quand pensera-t-on » ? Autant s’arrêter tout de suite alors.
Je sais me lancer, mais jamais poursuivre.
J’aimerais écrire à chaque moment, pour ne rien laisser passer. Pour tout travailler. J’aimerais demain tout quitter, laisser, arrêter, pour écrire. Me donner ce temps, me le payer surtout, car il va bien falloir l’acheter. Et je suis fauché. Raide. Sans perspective d’amélioration avant des années, et peut-être même jamais.
Demain j’ai quarante ans, je vais attendre encore combien de temps ? J’ai ce truc à réaliser, cette chose qui a poussé en moi pendant toutes ces années, et qui pousse en moi toujours, chaque jour, qui va tellement plus vite que moi et pourtant toujours avec moi, qui me rend triste et fort, heureux et si fragile à la fois, qui me remplit à un coin de rue, dans le métro, au détour d’un regard dans mon bureau, n’importe où avec eux, avec nous, avec lui, avec tout. Ça me prend vite. Vite, ça vient en moi. Ces moments de déclic purement jouissifs.
Et je me sens connecté avec cet au-delà de tout, tellement infini et grand et réconfortant. Une essence, quelque chose d’essentiel, des moments où c’est un ailleurs immanent qui nous relie au moment présent. Comme dans les ruines, à Athènes ou ailleurs, quand je pleure.
Faudrait que je prenne l’habitude.
Il faut que je m’entraîne.
Il faut que je lui donne ce temps.
Il faut que je réalise, enfin. Je n’en peux plus d’attendre, de ne pas lui donner les moyens. Et cela je l’ai déjà dit mille fois. Écrit quelques fois.
Viens ! Je t’accueille, empare-toi de moi, je me laisse prendre, envahis-moi, prend possession, et forme-toi, entraîne-moi, montre-moi.
Plus que jamais aujourd’hui j’ai besoin de te sentir vivre en moi, pour ne pas mourir d’ennui. De désespoir. Je veux que tu sois mon unique projet. Je pourrais bien faire toutes les formations du monde, tous les cycles plus ou moins académiques, chercher sans fin et en vain le bon travail, après quelques mois, l’ennui s’emparera à nouveau de moi, les perspectives m’échapperont parce qu’elles ne m’intéressent pas.
Même si j’ai pu me rapprocher de l’essence de ce qui me fait vibrer et dans quoi, seulement, j‘aimerais me développer, me dilater, m’épanouir, c’est toujours trop loin, trop périphérique, trop substantiel, trop absent, trop enfoui.
Je suis triste et je ne veux plus être triste.
Je veux enfin être satisfait, avoir fait quelque chose de tout ce que je sens en moi, de mon regard au monde, sans aucune espèce de prétention, mais je crois à cet art-là.
Le cabinet de curiosité du 16ème siècle revient à la mode. Il est promu dans un article du journal du week-end. Cet aménagement, agencement plutôt. Une manière de mettre les choses ensemble et de ne plus en finir.
Car ça n’en finit jamais.
Tant qu’il y aura des hommes, des choses, tant que je serai vivant à ces hommes et à ces choses, je les marierai. Je les mettrai au meilleur ou au pire pour mieux chercher à les comprendre. Et je crois que ces mariages-là valent quelque chose, si on leur donne une forme. En tout cas, c’est le souffle de la liberté pour moi. Et le seul moyen de supporter et de retrouver la joie.
Apposer son regard, prêter ses oreilles, lire et construire, suivre le cheminement d’une idée, comme un objet chevelu[*], la prendre à l’inverse, la questionner, la soupeser, la triturer, se laisser séduire par ce qu’elle devient alors, quoi qu’il en soit. C’est le cheminement qui est exaltant.
Laisse-moi aller à toi ! Je veux t’aimer et te donner tout cet amour que je sens en moi.
Je veux te faire du bien, aujourd’hui je suis prêt. Enfin.
Si je suis seul, alors que ce ne soit pas pour rien.
Puisque aujourd’hui en ce premier temps de ma vie où je me sens triste d’un petit vide, peiné d’être enfin, véritablement, pour de bon, seul, alors exploitons ! Allons-y carrément, enfin. Enfin, essayons.
J’aimerais avoir cette force, j’aimerais sentir que je peux, faire ce saut, tout changer, partir confiant dans cet inconnu. Me livrer au monde, l’avaler à chaque seconde, pour le régurgiter en mots, pour écrire mes cris, livrer mes combinaisons, les partager, les exposer, les confronter, les déchirer, les recommencer, encore. Vivre dans la vie, tout le temps, être connecté, tout le temps. Et ne plus perdre, de temps.
Accueille-moi ! Investis-moi ! Crois en moi ! Je sais que je peux y arriver, mais où est le guide ? Mais qu’est-ce que j’attends, pourquoi ne pas décoller, pourquoi rester coincé là, stagner. Dans la fange, ce marasme, ce vide-ordure qui nous engloutit en même temps que tout ce que l’on pense lui abandonner pour nous alléger. On n’a même pas vu qu’on était parti avec l’eau du bain, et le siphon n’en finit pas. La lente, rapide mais interminable régression, la descente vers le plus pauvre, vers le plus laid, vers la peste qui nous tuera. Elle est loin la lumière, on ne sait même plus ce que c’est la lumière. Il ira cracher sur vos tombes, le poète[†].
Alors il faut se diluer, se fondre, se dé-multiplier, se fragmenter, et si ça fait mal, il le faut. Pour accrocher les petits riens, les pures beautés, il faut être nulle part en particulier et partout à la fois, dans les feuilles d’herbes[‡], et à cheval[§], son propre roi.
Et il faut les faire vivre ces beautés éphémères, atemporelles, sœurs et filles de tous les siècles en même temps, de toutes les ères pourvu qu’il y ait eu de l’humain dedans.
Et il faut s’en délecter, les rendre visibles, les partager, pour que lui, pour qu’elle, pour que toi aussi, tu puisses en profiter.
Montre-moi ce que tu vois, je te dirai que tu as la foi.
C’est si facile, si bon, si simple.
Si impossible au monde.
Je veux vivre dans la contemplation, dans la douce et tranquille observation des choses.
Je veux me fondre et me reformer, me donner et me reprendre pour mieux recommencer.
Je veux la vie, avant qu’il n’y en ait plus. J’ai aujourd’hui trop le sentiment de passer à côté, et ce gâchis me devient insupportable.
Emmène-moi sur les volutes symboliques, dans le regard oblique, allons voir si la chose[**]….
Mais ne m’abandonne plus, ne me lâche pas, reste toujours vivante en moi, si tu me quittes, je me foudroie.
Tu es mon seul salut, ma seule envie, mon unique désir, je ne vois pas d’autre voie et j’en veux pour preuve ces larmes qui coulent à chaque fois que je te sens-là, que je comprends l’autre à travers toi, que je me parle de toi pour essayer de te lier davantage encore à moi, pour me rassurer de ton existence qui pourtant n’est pas possible sans moi.
Mais j’ai peur de me perdre, et à chaque fois que je t’oublie, je tombe, découragé, battu, à mort, exécuté.
Viens ! On va vivre tous les deux, prends-moi partout, quand tu veux, je veux être fou si être fou c’est me sentir habité.
Je serai ta maison, tu seras mon horizon.
C’est un besoin, l’horizon. Pas demain, pas plus tard, pas jamais, maintenant. C’est une urgence.
Je me consume.
Réfléchis ma lumière pour qu’elle ne meure.
Guide ma tête, mes mots et mes pas pour qu’au monde toujours plus fort je sois. Pour qu’au monde toujours je sois. Pour qu’au monde toujours ….
Libère-moi !
décembre 2010.
[*] Bruno Latour, « Notes sur certains objets chevelus », 1995. [†] Boris Vian, « J’irai cracher sur vos tombes”, 1946 [‡] Walt Whitman, “Feuilles d’herbes”, 1855 [§] Michel de Montaigne, « Essais », 1580. [**] Pierre de Ronsard, « Mignonne, allons voir si la rose… »,1545, détourné par Robert Poudérou, « Mignon, mignonne, allons voir si la chose… », 2001.
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